10/10/2025

L’ascension discrète mais affirmée des vins rosés belges

Un marché du rosé en pleine évolution… même en Belgique

Depuis une décennie, le vin rosé ne cesse d’élargir sa palette d’amateurs, partout en Europe. Si la France demeure la référence et la Provence son emblème, la Belgique voit émerger un intérêt grandissant pour ce type de vin, aussi bien auprès des consommateurs que des vignerons locaux.

Sur le marché mondial, les ventes de rosé ont bondi de 23% entre 2010 et 2021, selon l’Observatoire mondial du Rosé (CIVP, 2022). En Belgique, même si la production reste modeste, le phénomène se fait ressentir : les chiffres de l’Association des Vignerons de Wallonie montrent une multiplication par quatre du nombre de cuvées rosées mises sur le marché depuis 2017. L’offre, autrefois marginale, devient terrain d’innovation.

Pourquoi cette montée en puissance ? Saison estivale, apéritif convivial, quête de fraîcheur… Le rosé coche désormais toutes les cases, d’autant plus que les palais belges se montrent ouverts à la nouveauté.

Les premières traces du rosé belge : une histoire récente

Contrairement à ses voisins, la Belgique n’a pas d’ancrage séculaire dans la production du rosé. La plupart des vignobles, notamment wallons, n’en produisaient pas il y a quinze ans. Il faut attendre les années 2010 pour voir éclore les premières cuvées, souvent issues des mêmes cépages que les blancs et les rouges locaux.

L’arrivée du rosé dans les rayons reflète deux faits :

  • Un désir de diversification des producteurs, dans un terroir en reconstruction après le gel et les épisodes de mildiou (ces événements ayant poussé certains à innover – source : La Libre, 2017).
  • La recherche d’un style adapté au climat belge : moins de soleil qu’à Bandol, mais assez pour donner des vins frais, digestes, avec une tension naturelle.

Toutefois, les pionniers du rosé belge, comme le Domaine du Ry d’Argent (Namur) ou le Château Bon Baron (Dinant), ont rencontré un accueil mitigé à leurs débuts : le public local associait longtemps le rosé à des vins très sucrés, de type grenadine, et non à des vins de repas élégants. Le pari était osé. Dix ans plus tard, il est en passe d’être relevé.

Quels cépages, quels terroirs pour des rosés belges ?

L’identité du rosé belge se construit avec des outils bien précis. La Belgique ne peut guère miser sur les variétés méridionales (Grenache, Cinsault). Elle s’appuie sur des cépages adaptés au climat tempéré, souvent précoces, voire résistants :

  • Pinot noir : utilisé à la fois pour les effervescents et les rosés tranquilles, il donne des vins tendus, à la robe pâle, et aux arômes de framboise, groseille, cerise.
  • Dornfelder : cépage allemand, très planté dans le Limbourg flamand, apporte couleur et gourmandise, parfaite pour le rosé.
  • Regent, Rondo : cépages hybrides, résistants au mildiou, friands du climat belge, utilisés notamment en Wallonie pour aromatiser et structurer les rosés.
  • Auxerrois, Pinot Meunier, Gamay, Cabernet Cortis... : en plus petites quantités, ils enrichissent l’assemblage ou créent des micro-cuvées.

Les terroirs à dominante calcaire (Meuse, Vallée de la Sambre), apportent structure et minéralité, tandis que les sols sablonneux de Flandre favorisent des styles plus fruités. La diversité reste une force, et c’est ce qui attire de nouveaux amateurs.

Rosé tranquille, rosé effervescent : la double tendance belge

L’évolution des rosés belges se distingue sur deux fronts.

  • Les rosés tranquilles, en hausse chez les producteurs wallons et flamands, misent sur la fraîcheur, peu d’alcool (entre 11 et 12 %), des robes très pâles « à la provençale », mais aussi parfois des essais de couleurs plus soutenues, dans l’esprit des clairets ou de certains vins de Loire.
  • Les rosés effervescents, spécialité montante, profitent du savoir-faire accumulé sur les blancs mousseux. Plusieurs vins AOP Crémant de Wallonie s’illustrent en rosé. Citons, par exemple, le Domaine du Chant d’Éole : leur Crémant rosé assemblant Pinot Noir et Chardonnay a décroché la médaille d’or au Concours mondial de Bruxelles 2022.

Le rosé effervescent a la cote dans les réceptions et mariages pour sa légèreté. Les chiffres de l’Association des Vignerons Flamands indiquent d’ailleurs une hausse de 40 % de la production de bulles rosées entre 2018 et 2023.

Qui boit du rosé belge ? Un public éclectique (et rajeuni)

L’une des surprises du boom rosé en Belgique vient du public. Loin du cliché du rosé réservé aux fêtes d’été, il séduit désormais :

  • Des amateurs de vins locaux soutenant la production belge, même lors des dégustations d’hiver.
  • Une génération de trentenaires, souvent urbaine, curieuse des produits « made in Belgium », attentive à la traçabilité et à l’écologie des exploitations (tendance observée dans la presse Le Soir, 2022).
  • Des chefs et sommeliers qui osent le rosé sur des accords « signature », poissons fumés, viandes blanches, fromages régionaux.
  • Des femmes, historiquement plus consommatrices de rosé, mais la proportion d’hommes augmente nettement (source : Étude Vinexpo/IWSR, 2021).

Les domaines, en conséquence, adaptent leurs méthodes pour proposer à la fois des cuvées très fruitées, faciles à boire, et d’autres plus complexes, capables de tenir plusieurs années en cave.

Innovations et styles : la créativité des vignerons belges

Si le marché du rosé souffre parfois d’une image « plaisir immédiat, sans complexité », certains domaines belges cassent les codes :

  • Élevages sur lies, voire en barriques neuves, pour gagner en structure et en arômes.
  • Utilisation de cultures bio, voire zéro intrant, pour souligner la pureté du fruit (ex : Domaine XXV – Jodoigne, pionnier du rosé nature).
  • Assemblages multi-cépages – l’originalité des terroirs belges autorise des créations inattendues.

La réussite tient à l’équilibre : fraîcheur sans verdeur, fruit sans sucrosité lourde. Le cépage Pinot Noir, de plus en plus planté, donne d’excellents résultats dans ce registre.

Recommandations de dégustation : quelques cuvées à découvrir

  • Domaine du Chant d’Éole – Crémant Rosé : Pétillant de la région de Mons, fin, élégant, arômes de fruits des bois, finale salivante. Parfait avec des sashimis ou un fromage de Herve doux.
  • Domaine du Ry d’Argent – Rosé Prestige : Joli nez de grenade, bouche gourmande mais vive. Idéal à l’apéritif ou sur un barbecue de crevettes.
  • Vorsen Winery – Rosé Limbourg : Mêlant Dornfelder et Rondo, fruits mûrs et pointe florale, très apprécié sur un brunch ou même une tarte aux fruits rouges.
  • Domaine XXV – Rosé Nature : Sans sulfites ajoutés, robe légèrement trouble, nez pur et intense, ravira les amateurs de vins authentiques.

À noter : ces cuvées restent produites en quantités limitées – elles s’arrachent souvent dès leur sortie annuelle.

Perspectives et défis : le rosé belge peut-il s’installer sur la durée ?

Le dynamisme des rosés belges s’appuie sur des fondamentaux solides : climat favorable à la fraîcheur, cépages adaptés, appétit du public. Les concours et salons témoignent de l’intérêt grandissant. Mais la route reste longue.

  • Production limitée : Les volumes restent réduits – moins de 12 % du total des vins belges selon le SPF Économie (2023). Il faudra des investissements pour augmenter la capacité sans sacrifier la qualité.
  • Identité en construction : Le style belge, encore jeune, doit s’affirmer : rosé frais « à la nordique » ou imitation provençale ? L’avenir le dira.
  • Dérèglement climatique : Les récents épisodes de sécheresse ou d’orages posent de nouveaux défis à la vigne, mais peuvent aussi ouvrir la voie à de nouvelles expressions du rosé.

Pour les amateurs curieux, cette phase de bouillonnement est enthousiasmante : goûter les rosés belges en 2024, c’est découvrir à la fois la diversité, la créativité et le dynamisme d’un vignoble qui se cherche – et trouve déjà sa voie.

À surveiller dans les prochaines années : la montée des rosés bio ou nature, la percée des vins effervescents rosés sur les tables gastronomiques et la mise en avant de cuvées mono-parcelles, ambassadeurs des meilleurs terroirs belges.

Sources : Association des Vignerons de Wallonie, SPF Économie, Le Soir, Vinexpo/IWSR, Concours Mondial de Bruxelles, CIVP.

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