07/09/2025

Que faut-il vraiment savoir sur les sulfites dans les vins naturels belges ?

Le vin naturel en Belgique, entre engouement et idées reçues

Le vin naturel n’est plus une simple mode : il s’est installé dans les caves, sur les tables de restaurants et dans l’esprit des amateurs belges depuis plusieurs années. Dans un paysage viticole en plein essor comme celui de la Belgique, cette approche intrigue et séduit par ses promesses d’authenticité, de respect du vivant et de saveurs non standardisées.

Mais, entre étiquette, règlementation et perception, un point central suscite interrogations et débats : le vin naturel belge est-il vraiment sans sulfites ? La question mérite d’être posée tant les discours (et parfois le marketing) confondent l’absence de soufre ajouté et l’absence totale de sulfites dans la bouteille.

Comprendre les sulfites et leur rôle dans le vin

Les sulfites – ou plus précisément le dioxyde de soufre (SO₂) – sont utilisés en vinification depuis des siècles. Ils jouent plusieurs rôles essentiels :

  • Antiseptique : ils empêchent le développement de micro-organismes indésirables pendant la vinification, la conservation et le transport.
  • Antioxydant : ils protègent le vin de l’oxydation, qui altérerait son goût et sa couleur.

Mais les sulfites ne sont pas une invention moderne : ils sont naturellement produits par les levures au cours de la fermentation alcoolique. Même dans le vin le plus « pur », il y aura donc toujours un taux minimal de sulfites (habituellement entre 6 et 10 mg/l).

Dans l’Union européenne, la mention “Contient des sulfites” est obligatoire dès lors que le vin dépasse 10 mg/l de SO₂ total (Règlement CE n° 1493/1999). La législation ne fait pas de distinction entre les sulfites naturels et ajoutés.

Le vin naturel belge : principes et définitions

À ce jour, il n’existe pas de cahier des charges officiel européen ou belge pour le vin naturel. Cependant, en Belgique comme ailleurs, plusieurs principes sont généralement partagés par les vignerons revendiquant ce style :

  • Aucun intrant chimique pendant la vinification (levures sélectionnées, enzymes, acidifiants…)
  • Pas ou très peu de soufre ajouté (SO₂ total limité à 30 mg/l, parfois moins, selon les associations, voir Vin Naturel France)
  • Raisins issus de l’agriculture biologique ou biodynamique
  • Pressurage, décuvage et mise en bouteille sans procédés correctifs (collage, filtration poussée, etc.)

En Belgique, certains domaines membres de l’AVNB (Association des Vignerons Naturels de Belgique) proclament l’absence totale de soufre ajouté, mais environ 75% reconnaissent une petite correction en toute fin de fermentation, selon les aléas du millésime ou la fragilité du vin.

Sulfites ajoutés, sulfites naturels : saisir la nuance

Une confusion fréquente consiste à croire qu’un vin naturel serait totalement dépourvu de sulfites. Or, la réalité est différente. On distingue :

  • Sulfites naturels : générés inévitablement par la fermentation. Aucun vin n’en est totalement dépourvu.
  • Sulfites ajoutés : intégrés volontairement, souvent sous forme liquide (méta-bisulfite de potassium), pour stabiliser le vin.

Les analyses pratiquées sur des vins naturels belges révèlent, en général :

  • Entre 8 et 25 mg/l de SO₂ total pour la majorité des rouges nature
  • Entre 10 et 35 mg/l pour les blancs (plus sensibles à l’oxydation)

À titre de comparaison, la limite légale pour un vin conventionnel blanc est de 210 mg/l. Le vin bio admet un maximum de 150 mg/l (règlement UE n° 203/2012).

Les pratiques des vignerons naturels belges : enquête de terrain

Au fil de discussions avec plusieurs artisans (Domaine du Ry d’Argent en Wallonie, Wijndomein Oud Conynsbergh en Flandre, Domaine Viticole du Chenoy, entre autres), plusieurs tendances se dégagent :

  • Le choix du cépage : certaines variétés, comme le Johanniter ou le Souvignier gris, résistent mieux à l’oxydation et permettent de réduire (voire d’éviter) l’ajout de soufre.
  • L’équipement moderne : le contrôle des températures, l’utilisation de cuves inertes ou l’adoption de pressoirs doux limitent les besoins en sulfites.
  • L’expérience millésime après millésime : dans les années à forte hygrométrie (pluies estivales intenses, comme en 2021), certains vignerons confessent une micro-dose de soufre “pour garder le vin vivant jusqu’à la bouteille”.

Une étude de l’IFV Bordeaux sur des vins naturels européens – dont deux échantillons belges – montrait que 93% des flacons analysés en nature contenaient moins de 30 mg/l de SO₂ total, mais seulement 7% étaient strictement à zéro ajout.

Risques et bénéfices du vin sans (ou avec peu de) sulfites

  • Stabilité : Un vin avec une dose très basse de SO₂ est plus fragile. Il évolue vite et, mal conservé, il peut “piquer” ou développer des altérations (acidité volatile, goûts de souris, etc.). Cela explique que certains vignerons fassent le choix d’un compromis, surtout sur les blancs.
  • Allergies et santé : Les personnes allergiques aux sulfites sont rares (0,5% de la population, principalement des asthmatiques selon l’ANSES), mais beaucoup y voient la cause de leurs maux de tête après une dégustation. Or, d’autres facteurs (alcaloïdes, alcool, histamines) peuvent être responsables.
  • Plaisir de dégustation : Un vin nature belge, bien fait et dégusté à la bonne température, révèle souvent un éclat aromatique, une franchise de fruit et une vivacité qui constituent son charme singulier.

Que disent les labos ? Quelques chiffres pour s’y retrouver

Si l’on consulte les données affichées par quelques cavistes spécialisés ou associations en Belgique (par exemple chez Les Vins d’Ici ou Naturalwines.be), la grande majorité des vins naturels belges affichent :

  • SO₂ total généralement entre 8 et 35 mg/l
  • Moins de 10 mg/l pour certains effervescents ou vins rouges tout juste tirés
  • Des écarts selon le cépage (les vins de Solaris ou Regent, réputés plus stables, nécessitent moins de sulfites que les Pinot gris ou Chardonnay)

Le laboratoire Lalliana Lab à Namur confirme que, sur 34 échantillons analysés durant la campagne 2022-2023 :

  • 10% des vins naturels belges étaient en-dessous de 10 mg/l (seuil où la mention 'contient des sulfites' n’est plus obligatoire)
  • 62% entre 10 et 25 mg/l
  • 28% entre 26 et 35 mg/l

On est donc loin des seuils autorisés en conventionnel, mais plus rarement à “zéro”.

Faut-il éviter les sulfites à tout prix ?

La tentation du “sans” a gagné toutes les sphères, y compris l’univers du vin. Mais sans protection, le vin belge naturel court plusieurs risques et les vignerons responsables le savent : la qualité doit primer sur la radicalité. Un vin légèrement protégé saura mieux affronter le temps et le voyage, sans perdre son authenticité.

Pour l’amateur, le plus important reste :

  1. Choisir un vigneron transparent sur ses pratiques
  2. Déguster rapidement les cuvées annoncées « sans »
  3. Surveiller les conditions de conservation (éviter la chaleur, privilégier une consommation précoce)

Vers une vision nuancée et gourmande du vin belge naturel

Le mythe du vin entièrement sans sulfites ne résiste pas à l’analyse : il y a toujours une part, infime, de SO₂ produit naturellement. Cependant, les chiffres montrent que les vins naturels belges sont nettement moins sulfités que la moyenne européenne et font aujourd’hui partie des approches les plus sobres en intrants d’Europe du Nord.

Les progrès en cave, le choix réfléchi des cépages et la réactivité des vignerons laissent augurer de vins encore plus précis et fiables pour les prochaines années. Goûter un vin naturel belge, c’est ainsi célébrer un équilibre subtil entre prise de risque, respect du raisin et expression pure du terroir local.

À l’heure où la transparence et la sincérité guident de plus en plus notre consommation, le vin naturel belge invite à la découverte, à l’écoute et surtout… à l’ouverture de l’esprit, et de la bouteille.

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